Microsoft truste le marché des solutions collaboratives, en dépit d’une offre abondante de solutions Made in France. Analyse d’un rendez-vous manqué sur un air de souveraineté numérique.
Le 15 septembre 2021, Nadi Bou Hanna, directeur de la Dinum (Direction interministérielle du numérique), envoie une note à l’ensemble des ministères pointant la non-conformité d’Office 365 à la doctrine cloud de l’État.
Si les projets de migration vers le cloud Microsoft déjà engagés ont pu bénéficier d’une dérogation, tous les autres doivent lancer un projet sur le cloud interne de l’État, choisir l’offre du consortium Bleu en cours d’élaboration par Microsoft, Capgemini et Orange, mettre en œuvre des produits interministériels SNAP ou bien attendre l’amélioration des offres disponibles sur le marché…
Des offres ignorées par la Dinum
Cette circulaire fait bondir les professionnels concernés. L’écosystème français compte précisément plusieurs éditeurs de solutions collaboratives de renom et leur absence de la note de la Dinum a poussé huit acteurs du secteur à se fédérer pour réagir et communiquer sur l’existence d’une alternative réelle à Microsoft 365.
Philippe Pinault, cofondateur de Talkspirit, l’un des huit signataires de ce collectif, souligne :
« Indiquer aux acteurs publics d’attendre que Microsoft et ses partenaires Capgemini et Orange proposent une offre souveraine, tout comme Thales va le faire avec Google, c’est aberrant ! Cette note faisait fi d’une offre existante qui remplissait pourtant toutes les exigences de souveraineté de la Dinum et nous regrettons le peu de visibilité que la politique accordée aujourd’hui à l’écosystème français. »
Outre Talkspirit, ce collectif compte Atolia, Jalios, Jamespot, Netframe, Twake, Wimi et Whaller, des acteurs dont plusieurs d’entre eux ont une longue expérience et une offre mature à proposer aux DSI.
Philippe Pinault explique la démarche (voir la vidéo) : « Cette communication collective a voulu rappeler que, non seulement il existe des offres en place, mais que celles-ci peuvent tout à fait se substituer à celle de Microsoft sur une grande partie de son périmètre fonctionnel. Nous sommes aujourd’hui en mesure de challenger Microsoft sur les projets de travail collaboratif. »
Un soutien via la dépense publique
Les éditeurs français ont estimé ne pas avoir à rougir face à Microsoft (et Google Workspace) sur le plan des fonctionnalités, mais le déficit de notoriété des solutions françaises est évident.
« L’écosystème ne souhaite pas être biberonné à la subvention, mais simplement que la politique donne plus de visibilité à une offre qui existe déjà et qui attend d’être déployée plus largement auprès du secteur public et des entreprises françaises », argumente Philippe Pinault .
« Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est essentiellement un soutien politique pour mettre en place les conditions favorables sur les marchés publics, notamment. Il faut flécher une partie de la dépense publique vers les solutions souveraines. Il manque un soutien politique qui nous donnerait plus de visibilité sur des offres déjà existantes. »
Philippe Pinault souligne que l’offre TalkSpirit est à la fois compétitive du point de vue tarifaire et qu’elle bénéficie d’un bon niveau d’intégration entre les multiples briques collaboratives dont sont aujourd’hui composées les plateformes modernes : « L’intégration est finalement l’une de nos grandes forces face à Microsoft, dont la plateforme n’est pas aussi unifiée qu’il n’y parait : OneDrive, Outlook et Teams sont des univers qui ne sont absolument pas unifiés et c’est à l ‘utilisateur de passer d’une interface à une autre. Nous pensons que le marché souhaite, au contraire, rationaliser et bénéficier d’une plateforme très qualitative au niveau de l’expérience utilisateur. »
Outre les huit signataires en faveur des offres souveraines, l’écosystème français compte quelques pépites, dont Oodrive, venu du monde du stockage , Azendoo pour le travail d’équipe, Smash, un équivalent français de WeTransfer, ou, encore, Mailo, un nouvel acteur dans le monde de l’entreprise. Ce dernier vient de s’allier à Alcatel-Lucent pour compléter son offre d’une visioconférence en brique.
« Sur une même plateforme, nous délivrons notre service de messagerie grand public, mais aussi un service professionnel qui intègre le mail, avec carnet d’adresses, agenda, des outils de partage et une capacité d’éditer en ligne des documents, basée sur OnlyOffice », explique Pascal Voyat, cofondateur de Mailo.
« Nous travaillons actuellement sur une version incluant le chat et la vidéo, en nous appuyant sur la technologie Rainbow d’Alcatel. » Ce nouvel entrant sur le marché des plateformes collaboratives vise en premier lieu les ETI de quelques centaines à un millier d’employés, et les professionnels.
Comme pour les poids lourds français de la collaboration, l’éditeur estime que l’État a un rôle à jouer pour soutenir la filière. Fléchage des investissements publics vers les acteurs souverains,
“Small Business Act” à la française, aides diverses et variées à la recherche, l’État peut jouer sur de multiples leviers pour contrer la domination des acteurs américains sur le marché français. La domination des plateformes américaines n’est pas une fatalité.
Alain Clapaud