Le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes a réalisé fin avril une expérimentation inédite : la simulation d’une opération cardiaque sans fil en 5G. Elle s’inscrit dans le cadre du projet de recherche européen 5G-TOURS, associé au programme européen Horizon 2020. La société rennaise Ama, spécialisée dans la réalité assistée, B-com, un institut de recherche technologique, Nokia, Orange et Philips se sont associés au projet. En situation réelle, l’objectif serait de pouvoir retransmettre en temps réel l’intervention et d’utiliser la réalité augmentée, tout en configurant le bloc opératoire de manière à ce que les câbles ne gênent pas les chirurgiens,
Dans les détails, le cardiologue Erwan Donal a réalisé une intervention cardiaque mini-invasive sur un patient “fantôme”. Il s’agissait d’une procédure de protection cardiaque contre une récidive potentielle d’accident vasculaire cérébral (AVC) lorsqu’il est imputé à un foramen perméable (la communication résiduelle entre l’oreillette gauche et l’oreillette droite du cœur).
Une superposition d’images
Cette opération a été facilitée par la superposition d’images d’échographies et de radiographies par rayons X retransmises grâce à la 5G à 26 GHz au travers d’une application de réalité augmentée. “Nous avons choisi cette bande de fréquences pour des raisons de capacité, détaille Mathieu Lagrange, directeur du laboratoire réseaux et sécurité de B-com. Ce type de cas d’usage nécessite un très fort débit dans le sens montant et descendant.” N’étant pas disponible aux fréquences des réseaux publics, le recours à cette capacité a fait l’objet d’une demande de licence auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep ).
Tout l’enjeu de cette expérimentation était d’obtenir une synchronisation parfaite des images pour augmenter la performance opérationnelle de la prise en charge médicale. En effet, un décalage dans le temps risquerait d’induire un décalage dans l’espace du geste du médecin. “Les images étaient transmises par les équipements dans la salle d’opération via le réseau 5G puis étaient ensuite fusionnées, c’est-à-dire que nous avons superposé sur le scanner à rayon X les images fournies par la sonde à ultra sons“, raconte Mathieu Lagrange.
Une opération suivie à distance
La 5G est également autorisée à Alexandros Stefanidis, un chirurgien cardiaque situé à Athènes en Grèce, de suivre à distance l’opération. Les images ont été achetées par des lunettes connectées équipées d’une caméra, développées par Ama. “Nous avons vérifié la qualité des images récupérées à Athènes. Elles sont exactement les mêmes que celles enregistrées dans la salle», note Nelly Besnard, responsable de la recherche et de l’innovation au CHU de Rennes.
Globalement, “le retour de cette expérimentation est positif“, ajoute-t-elle. Plusieurs paramètres ont pu être vérifiés. Tout d’abord, l’innocuité des ondes sur les patients et les praticiens. Une société spécialisée a été mandatée pour faire des mesures, sous le contrôle de l’Agence nationale des fréquences (ANFR).Les résultats sont très rassurants, même en deçà des simulations qui ont été faites», note Nelly Besnard. D’ici quelques semaines, un rapport public présentant ces résultats doit être publié afin de servir de référence pour les futures expérimentations de la 5G.
La sécurité informatique est également optimale, conclue-elle. “Le spectre dans les bandes millimétriques est adapté à ce type de cas d’usage car les signaux [renvoyés par les équipements] ont une capacité de pénétration qui est nettement moins élevée que dans les bandes basses“, explique Mathieu Lagrange. Résultat : “il est impossible de recevoir les signaux en dehors de la salle d’opération“.
Des ajustements à faire
S’agissant d’une expérimentation, des ajustements restent encore à faire. “Il faudrait améliorer les aspects de qualité d’image et d’expérience des applications de réalité augmentée“, détaille Nelly Besnard. Autre problématique : l’obligation d’utiliser des routeurs, des “Customer Premises Equipment” (CPE), pour relier le réseau aux dispositifs médicaux (sonde d’échographie, écrans…), ce qui nécessite des fils.”L’étape d’après serait de supprimer ces routeurs pour les remplacer par des puces ou des types de clés intégrées dans les dispositifs eux-mêmes. Ce sont aux équipementsiers de s’en charger“, ajoute-t-elle.
Le CHU de Rennes a déjà mené une expérimentation de la 5G dans une ambulance connectée en septembre 2021. Le médecin urgentiste Tarik Cherfaoui a réalisé une échographie cardiaque sur un patient “fantôme”, guidé à distance par les équipes du CHU. Le cardiologue Erwan Donal disposait d’images retransmises en temps réel par l’échographe de l’ambulance grâce au flux vidéo des lunettes connectées dont l’urgentiste était équipé. Il a ainsi pu le guider sur l’orientation de la sonde et l’aider dans l’interprétation des résultats.
Une nouvelle expérimentation se profile déjà, nous confie Nelly Besnard. D’ici quelques mois, financé par le plan France Relance, un cas d’usage sur la réanimation va être lancé. Inspiré de la situation sanitaire, “l’objectif va être de pouvoir atteindre un service de réanimation à partir d’un service de soin classique en 24 heures grâce au déploiement d’un réseau 5G privé”, détaille-t-elle. Reste à voir si ce nouveau projet répondra aux attentes. Une chose est sûre : la 5G va bouleverser le secteur de la santé.