Malgré un chiffre d’affaires en augmentation de 9,7 % par rapport à l’année précédente, c’est surtout la perte nette de 210 000 abonnés qui a marqué les investisseurs et fait chuter le cours de bourse de Netflix. Quand le modèle économique repose sur l’abonnement, une fuite d’utilisateurs a encore plus d’impact sur les résultats de l’entreprise.
Modèle à bout de course
Les revenus récurrents sont ainsi perdus et ce, sur plusieurs années, bien que dans le cas présent, cette perte soit essentiellement liée à la fermeture des activités en Russie. Mais pour rassurer ses investisseurs, le fondateur Reed Hastings voudra sembler uniquement s’orienter sur des solutions court-termistes en évitant d’aborder une vision à long terme et faire ainsi pivoter un modèle qui semble arriver en bout de course.
L’histoire avait pourtant bien commencé. Après avoir lancé en 1997 son “vidéo club 2.0” de location de DVD par correspondance, l’entreprise a réussi son premier pivot stratégique en 2007 pour surfer sur la vague de la deuxième génération d’internet en lançant sa plateforme de streaming. Elle s’est très vite imposée comme le leader incontesté des contenus de streaming généralistes. Mais après avoir profité d’une période Covid favorable, l’entreprise a laissé la voie ouverte à ses concurrents et à de nouveaux entrants qui ont progressivement entraîné l’éducation d’utilisation interrompue par Netflix.
Devenir un éditeur de contenus
Si l’augmentation des tarifs, la monétisation du partage de compte ou l’ajout d’une option moins onéreuse contrebalancée par des revenus publicitaires sont autant de possibilités — améliorées sur le prix — qu’envisage la firme de Mr Hastings pour redresser la barre sur le court terme sans changer les pratiques, elles ne suffiront pas à transformer un modèle vieillissant qui demande à la fois innovation et évolution de la proposition de valeur pour les utilisateurs.
Certains nouveaux entrants comme Disney+ sont arrivés à faire mieux, en passant d’un modèle de plateforme de contenu à éditeur de contenu. L’éditorialisation des contenus a permis à Disney+ de mettre l’accent sur le produit en mettant en valeur des thématiques, des personnages et des histoires qui se procurent aux enfants comme aux grands de véritables émotions. Disney a toujours investi dans ses personnages depuis Mickey dans les années 1930, c’est le “secret” qui a permis de les rendre attachés.
Pour survivre, Netflix doit continuer à innover et faire pivoter de nouveau son modèle. La plateforme n’a en effet peut-être évolué, l’expérience et son interface sont restées les mêmes depuis des années. Bien que Netflix puisse choisir un film à notre place ou suggérer différents choix selon nos goûts via un algorithme révolutionnaire à l’époque, qui aujourd’hui n’a pas perdu des heures à dérouler à l’infini cette interface avant de se décider sur un bon contenu ?
Deux virages stratégiques
Netflix aurait la possibilité de prendre deux virages stratégiques qui peuvent être d’ailleurs complémentaires. D’abord, Netflix pourrait engager une diversification de sa proposition de valeur à l’image d’Amazon Prime qui propose tout un panel de services. Ses investissements récents dans le gaming sont peut-être la voie choisie par l’entreprise pour son offre de divertissement bien que la concurrence soit déjà forte sur ce marché où les géants Microsoft, Sony ou encore Epic Games sont omniprésents et innovants à tour de bras.
Netflix peut aussi suivre la voie de Disney+ et se transformer en véritable éditeur de contenus. Cela nécessite des investissements conséquents tant sur le catalogue dans lequel Netflix pourrait aussi envisager de travailler davantage avec les créateurs qui deviennent de plus en plus nombreux, professionnels dans les réalisations et pointus dans leur profondeur d’analyse et sur lesquels Youtube a construit son modèle.
Mais c’est aussi et surtout un pivot qui implique un changement de culture d’entreprise avec une réorganisation autour des directeurs d’édition pour éditorialiser les contenus et leur donner ainsi le relief qu’il leur manque aujourd’hui. Et si demain, pour redonner de l’émotion dans ses contenus, le prochain mouvement de Netflix était le recrutement du nouveau Karl Lagerfeld de l’édition ? Qui saura redonner une saveur, une aspérité unique à Netflix ?
Cyril Vartvice-président exécutif de Fabernovel
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