Huit ans après son rachat d’Oculus, Meta arrive au point critique de son pari sur les technologies immersives, que Mark Zuckerberg voit comme la clé de la prochaine grande plateforme informatique, celle qui viendra après les smartphones, eux-mêmes ayant succédé à l ‘ordinateur personnel.
Une épreuve d’endurance
Si ce moment est déterminant, c’est parce que les produits sur lesquels reposent son business model actuel (les réseaux sociaux Facebook et Instagram) subissent de plein fouet une série de facteurs négatifs, qui vont des changements imposés par Apple sur les applications pour iPhone à la concurrence de l’application chinoise TikTok, en passant bien évidemment par la crise économique profonde qui frappe toutes les entreprises, y compris celles de la Tech. La publicité en ligne est particulièrement touchée, et les résultats de Google s’en ressentent aussi, tout comme ceux de Snap.
L’enjeu crucial pour Meta est donc désormais de bon tenir jusqu’à ce que son pari sur les technologies immersives porte ses fruits. L’entreprise doit pouvoir continuer d’investir d’importantes sommes dans sa division Reality Labs, et ce pendant encore cinq ans au bas mot (nous tablons plutôt sur dix). En effet, si les technologies de réalité virtuelle et augmentées ont fait d’énormes progrès depuis cinq ans, elles ne sont pas encore au niveau suffisant pour connaître une adoption à très grande échelle.
L’informatique contextuelle, un graal aux allures de mirage
Le Quest 2, plus gros succès du marché de la réalité virtuelle à date, atteindra au mieux les 20 millions d’exemplaires vendus d’ici à sa fin de vie. Le Quest Pro, nouveau casque dont nous publierons le test dans les jours qui viennent, se destine au monde professionnel et ne génère pas de gros chiffres de vente. Le prochain appareil grand public de Meta sera le Quest 3, dont la sortie s’est avérée efficace pour l’année prochaine. Il reste toutefois destiné en priorité au jeu vidéo, un marché certes important, mais qui ne suffit pas à remplir les objectifs de Meta à lui tout seul.
La vraie prochaine “grande plateforme” telle que l’envisage Meta repose sur des technologies encore plus complexes : lunettes de réalité augmentée extrêmement compactes et légères Couplées à une montre connectée capable de détecter les plus infimes mouvements musculaires dans le poignet.
L’immersion n’en est donc qu’un aspect, et le terme le plus approprié pour le décrire est sans doute plutôt “informatique ambiante” ou “informatique ambiante” car existant “tout autour de l’utilisateur”, voire “informatique contextuelle”, car le système devra percevoir le monde depuis le point de vue de son utilisateur pour s’adapter à son contexte sans cesser de changer. concept qui nécessitera aussi d’énormes efforts sur le plan logiciel, notamment en matière d’intelligence artificielle embarquée (vision par ordinateur, traitement du langage naturel, inférence d’intention…).
Et le Métavers alors ?
Mais qu’en est-t-il du Métavers, me direz-vous ? Eh bien c’est là tout le problème. La presse généraliste et même spécialisée a largement titré sur “le fiasco du métavers de Meta” ces dernières semaines, se concentrant sur les débuts difficiles de la plateforme Horizon Worlds, qui se veut une expérience sociale mêlant petits jeux et simples moments de détente dans un univers virtuel, à la façon de Roblox ou Rec Room, voire de Minecraft et Fortnite.
Ou, Meta n’a pas investi des dizaines de milliards de dollars dans ce projet spécifique, et encore moins basé sur son changement d’identité et de stratégie (opéré l’année dernière) sur son lancement. Pour rappel, Facebook affiche ouvertement sa volonté de s’imposer dans ces technologies depuis 2014, année de son rachat de la start-up Oculus. Elle n’a fait qu’augmenter ses efforts dans ce domaine depuis, recrutant plus de 10 000 personnes, dont de nombreux chercheurs de pointe, et dépensant des milliards pour se transformer en fabricant de produits électroniques de haute technologie. Ses efforts ont été largement un succès, puisque Meta domine complètement le secteur de la réalité virtuelle. Tous les casques qui sortent aujourd’hui s’inspirent de ses designs.
Une erreur de communication élémentaire
En réalité, le marketing de Meta autour du Metavers est surtout une affaire de… marketing, justement. Il s’agit pour l’entreprise de communiquer au monde (et surtout à ses investisseurs) une vision attractive de ce sur quoi elle travaille, car la réalité virtuelle ne fait pas suffisamment rêver le grand public, et la réalité augmentée n’est pas encore prête pour représenter un objectif concret. Mais il fallait malgré tout envoyer un message très fort pour affirmer une bonne fois pour toutes qu’il ne s’agissait pas que d’une lubie, sans pour autant mettre de côté les racines “sociales” de Facebook.
Le problème est que ce type de campagne de communication est à double tranchant : on fait miroiter une “révolution” quasi science-fictionnesque qui serait “bientôt là”, et les médias se font certes un plaisir d’en faire l’écho. Mais lorsque les résultats se font toujours attendre quelques années plus tard, le retour de bâton n’en est que plus violent. C’est d’ailleurs exactement ce que nous avions prédit lors de cette grande annonce il ya un an. La baisse du cours de bourse de Meta et sa croissance en berne – et le peu d’utilisateurs d’Horizon Worlds – ont été des excuses toutes trouvées.
Le Métavers tel qu’il est vaguement décrit par Meta ou Epic Games (éditeur de l’Unreal Engine et de Fortnite), c’est-à-dire une surcouche de 3D temps réel sur Internet, n’atteindra sans doute jamais le milliard d’utilisateurs quotidiens. Il a potentiellement de la valeur, mais la vraie révolution technologique à grande échelle que la recherche Meta se situe bel et bien dans le domaine de l’informatique contextuelle que nous évoquons plus haut.
La bonne nouvelle pour Mark Zuckerberg est que son entreprise est à la pointe du domaine. Son rachat de CTRL-Labs en 2019 a été déterminant, et les chercheurs de Reality Labs Research et Meta AI défrichent depuis déjà cinq ans les contours de ce domaine complexe. La mauvaise nouvelle est que ces technologies ne sont pas encore au point, et ne le seront pas avant plusieurs années. D’ici là, Meta devra continuer d’investir entre deux et quatre milliards de dollars chaque trimestre sans tirer de revenus.
Méta contre Apple
L’autre mauvaise nouvelle est qu’Apple barre sa route. Nous les disions plus tôt, l’entreprise de Mark Zuckerberg a réussi avec brio sa transition en fabricant de produits électroniques. Ses casques VR – et même ses tablettes Portal en voie d’extinction – ont tous été de francs succès d’un point de vue qualitatif.
Une réussite d’autant plus remarquable si sur la comparaison aux efforts de Google par exemple, qui peine depuis 15 ans à mettre en œuvre une stratégie matérielle cohérente. Mais l’entrée sur le marché lui a été coûteuse, et son image de marque catastrophique auprès d’une grande partie du public ne lui fait pas de cadeau. On se permettra de déplorer l’abandon de la marque Oculus, qui n’avait pas lieu d’être.
Face à Meta, Apple est déjà leader sur tous les segments clés du futur marché de l’informatique contextuelle. Smartphone (écran, processeur, OS), écosystème applicatif (App Store), périphériques audio (Air Pods), smartwatch (Apple Watch). L’entreprise de Tim Cook travaille elle aussi depuis des années sur ses propres casques XR, mais n’a rien eu à commercialiser jusqu’à présent car elle n’a rien à prouver. C’est à peine si elle a publiquement confirmé son intérêt pour la chose. Elle peut se permettre d’attendre que chaque élément soit mûr. Meta n’a pas ce loisir.
Par ailleurs, les technologies de rupture sur requérantes compétentes les deux entreprises se sont avérées plus complexes à mettre en œuvre que prévu, accusant des années de retard. Si elles se révélaient être un cul de sac, Meta aurait d’ailleurs beaucoup de mal à s’en remettre.
Mais même si elles sont bien cruciales à “l’informatique du futur” (ce que nous sommes disposés à croire), la question reste désormais de savoir si Meta saura tenir la distance jusqu’à leur avènement. Elle en a certainement les capacités, et a démontré sa résilience et sa faculté d’adaptation par le passé, notamment lors de la transition du web vers les applications mobiles. Elle va devoir réitérer cet exploit.
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