L’affichage environnemental des data centers est encore optionnel, et même clairement exclu de la loi AGEC le rendant obligatoire pour les fournisseurs d’accès internet et opérateurs télécom depuis le 1er janvier 2022.
Mais comment peut-on envisager une évaluation sérieuse de l’empreinte environnementale des services numériques sans mesurer celle des centres de données ? Le marché doit se préparer aujourd’hui à ce qui sera sans aucun doute une obligation demain. Et surtout faire les choix justes et éclairés en matière de mesures à utiliser.
Affichage environnemental : une réglementation progressive
Depuis le 1er janvier 2022, la loi AGEC oblige les fournisseurs d’accès internet et les opérateurs télécom à communiquer à leurs abonnés l’équivalent en émissions de gaz à effet de serre de leurs consommations de données. Cette obligation concerne à la fois les opérateurs physiques et virtuels, et les réseaux fixes et mobiles.
L’évaluation de l’impact environnemental pour permettre cet affichage doit se faire conformément à la méthodologie mise à disposition des acteurs concernés par l’ADEME, rédigée par un comité technique piloté par le consortium NegaOctet®.
Dans l’esprit de la loi, l’affichage environnemental a pour fonction première de sensibiliser les consommateurs au poids écologique de leurs pratiques sur Internet. Et d’inciter les fabricants de matériels et les fournisseurs de services numériques à évaluer leurs performances environnementales à l’instant T, pour les améliorer dans le temps, et ainsi d’afficher leurs progressions.
Si aujourd’hui seuls les fournisseurs d’accès internet et opérateurs télécom se voient imposer l’affichage environnemental, cela ne signifie pas que les autres acteurs impliqués dans la chaîne de valeur du service numérique ne doivent pas être en capacité de mesurer leurs impacts environnementaux , et notamment les opérateurs de data centers.
D’ailleurs, ces derniers sont de plus en plus sollicités afin de communiquer leurs données environnementales. En effet, le décret Éco Énergie Tertiaire oblige d’ores et déjà les exploitants de bâtiments à usage tertiaire, y compris les data centers, à optimiser en continu et à télédéclarer sur la plateforme OPERAT de l’ADEME les consommations énergétiques de leurs bâtiments.
Aussi, afin d’affiner la mesure de l’empreinte environnementale du numérique, l’Arcep prévoit d’élargir le périmètre de son baromètre environnemental, et donc sa collecte de données auprès des opérateurs de centres de données.
Vers une harmonisation et un élargissement des méthodologies de mesure
De nombreux référentiels, normes, méthodologies et « règles de l’art » existent déjà à l’échelle internationale pour mesurer l’impact environnemental des services numériques : référentiels de l’International Telecommunication Union (ITU), Greenhouse Gas Protocol (GHG ou protocole sur les gaz à effet de serre) et NF EN ISO 14040 et 14044 (selon la méthodologie de l’analyse du cycle de vie, ACV).
Aussi, dans le cadre de la normalisation des règles promues par la Commission Européenne, des référentiels sectoriels sont en cours de développement : les PCR (Product Category Rules) et les PEFCR (Product Environmental Footprint Category Rules).
Ces référentiels sectoriels sur l’affichage environnemental ont pour objectif d’harmoniser l’ensemble des éléments, et donc des référentiels associés au sein d’une seule et unique méthodologie, et de différencier les règles en fonction des spécificités des produits ou services visés.
À ce jour, deux PCR distincts ont été publiés par l’ADEME : le PCR « Services Numériques » définissant les règles générales pour l’ensemble des services numériques, et le PCR « Fourniture d’Accès à Internet », spécifique aux réseaux et restreint au périmètre de la loi AGEC.
Concernant le calcul de l’empreinte environnementale des data centers, un PCR spécifique, est en cours d’élaboration, dont la publication est prévue en novembre 2022. Ce PCR prendra en compte :
> la méthodologie de l’analyse du cycle de vie (ACV) en tenant compte des recommandations de la norme 14044 et des référentiels de l’UIT ;
> une approche multicritère afin d’aller plus loin que le seul indicateur CO2 / gaz à effet de serre, et incluant d’autres impacts environnementaux : épuisement des ressources, tensions sur l’eau, production de déchets, etc. ;
> les spécificités de ces bâtiments et des locaux techniques, ainsi que des équipements informatiques qui y sont hébergés.
Affichage environnemental : à terme, comparer ce qui est comparable
Pour rappel, le principal objectif de l’affichage environnemental est d’informer les consommateurs sur les impacts environnementaux des produits ou services numériques qu’ils achètent ou qu’ils souscrivent. Cela les conduit donc à comparer les résultats affichés pour éclairer, voire orienter, leur choix.
Néanmoins, il faut rester très vigilant sur cette approche comparative car il existe différents types de data centers dont les caractéristiques peuvent varier : taille du data center, architecture (bâtiment neuf versus rénovation), systèmes de refroidissement (free cooling, free chilling, immersion… ), lieu d’implantation (mix énergétique du pays d’implantation) ou encore taux de charge du centre de données.
À partir de ce postulat, il s’agit de vérifier que les caractéristiques sont similaires pour pouvoir comparer les impacts environnementaux entre deux centres de données d’un même type.
L’utilisation d’une seule et unique méthodologie objective et commune à tous permet de garantir que l’évaluation de l’impact environnemental a été réalisée avec les mêmes règles : inventaires de cycle de vie exhaustif, prise en compte obligatoire de certains équipements dont l’impact est considéré comme négatif, etc.
La délicate question des données d’inventaire
En matière de data centers, toute la complexité des projets d’affichage environnemental repose sur la difficulté d’accès aux données d’inventaire, autrement dit les données des matériels utilisés pour les équipements IT (serveurs physiques, équipements réseaux, solutions de refroidissement) comme pour les aspects bâtimentaires (locaux, électricité, etc.) : tous les fabricants et constructeurs ne les séparent pas systématiquement, et leurs méthodologies d’ACV peuvent varier.
Ou si les données d’entrée sont inexistantes ou faussées, les résultats de l’affichage environnemental seront également erronés.
Pour combler ces vides, l’ADEME édite la Base IMPACTS®, qui agrège un certain nombre d’informations et de données sur l’ensemble des caractéristiques nécessaires à la mesure de l’impact environnemental. Néanmoins, dans de nombreux cas, il s’agit de données issues de la littérature technique, et donc non vérifiables.
Le consortium NegaOctet® publie quant à lui une base équivalente, dont les données sont issues de mesures réelles, et sont intégrées à la base Impacts (60 caractéristiques à ce jour) pour permettre aux entreprises proposant des services numériques de mesurer leur impact environnemental sur des fondations solides, normalisées et multicritères.
Ces fondations sont donc à la fois le premier pas vers la prise de conscience et la réduction réelle des impacts. Et qui participeront aussi au développement business de demain, dans une société où le consommateur est de plus en plus vigilant sur l’impact environnemental et social des produits et services qu’il acquiert.
Il ne fait en effet aucun doute que les sociétés qui afficheront rapidement leur impact environnemental ainsi que les actions qu’elles mettront en place pour les réduire disposeront d’un avantage concurrentiel vertueux par rapport à celles qui ne le feront pas.